Retour d’expérience d’un alpin

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      Arnaud A
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        Bonjour,

        comme évoqué sur le groupe Signal, voici la version longue d’un retour d’expérience remonté par un animateur sécurité de la fédé :

        ————-
        Pour celles/ceux qui ne me connaissent pas et pour cerner le pilote. 30 ans. Début de pratique timide il y a 10 ans, vole beaucoup depuis 3 saisons. Environ 350h de vol (dont 130h en 2020 et 170h en 2021), biplaceur récent. Quelques compet l’an dernier et vols de +150km.

        25/03 (veille accident) : je suis rentré de voyage depuis moins de 48h après 1 mois et demi au bord de la plage sans voler, et la veille à peine atterri on a fait l’ag du club donc bu pas mal de binouze et du coup j’ai dormi six heures. On va voler dans le vercors/devoluy c’était cool le rythme était tranquille le plaf monstrueux donc pas collé au relief et à part la fatigue combinée au froid qui m’a obligé à poser au châtel pour récupérer quelques points de vie, c’était plutôt chill. Je n’ai pas touché le deuxième barreau de la journée. Mais je rentre le soir lessivé par ce vol d’à peine 6h, entre le froid, la mauvaise gestion de l’hydratation et tutti quanti.
        Bref, je ne suis pas entraîné du tout, je ressors d’un covid qui m’a un peu fatigué quand même, et j’ai la pression première compet dans une semaine et demi je me dis qu’il faut que je fasse du volume et du kil d’ici là pour ne pas galérer …

        26/03 : je me suis couché tôt et j’ai essayé de faire une bonne nuit mais réveil à 7h quand même pour aller prendre le bus avec les canards direction le Serpaton, je suis claqué je me jette sur la machine à café à la gare, et je renverse mon café dans le bus à peine commencé à le boire, ça commence bien.
        On monte à pieds tranquillou, une bonne vingtaine de canards. Le bulletin annonce pas mal de SE dans la journée, on se dit qu’on va remonter jusqu’en chartreuse et on avisera les bauges ou pas ensuite. Je commence à me dire que si ça souffle beaucoup je ne vais pas être au top, avec le peu d’entrainement que j’ai, mais bon.

        Déco 11h, on s’extrait ça souffle pas trop, et on enquille le Vercors vers le moucherotte à un bon rythme, une fois correctement 200/300m au dessus de la crête je pousse pas mal, je ne veux pas arriver trop tard à la savoyarde pour ne pas me faire tordre. J’ai deux bons canards de confiance avec moi, le rythme me convient.

        Moucherotte 12h30, transition tranquille, je m’hydrate bien et me soulage, on est bien sur l’horaire, je suis mieux couvert qu’hier (et on est moins haut) donc pas froid du tout et je me sens plutôt en confiance, le vent n’est pas si terrible (petit 10kmh ENE), la suite devrait bien aller.

        Arrivé au Rachais un des canards a pris un peu d’avance, je me mets en tête de le rattraper, j’attaque alors le st eyn vers 1000m et ça secoue un peu. Plutôt que de perdre 3min à enrouler pour sortir à la crête et pouvoir avancer confort, je commence à enquiller la falaise en me disant que de toute façon ça va monter tout le long et que je vais sortir au dessus au bout, pas besoin de m’emmerder. Et vu que j’ai le sentiment d’être à la bourre, mon orgueil démesuré appuie sur le barreau comme un sourd, je suis à 30m du relief les poulies collées et ça cisaille sévère. Mon gentil canard gardien me dit alors à la radio que lui dans ce condis il ne touche pas au barreau, ça sonne comme un avertissement et je pourrais cheminer tranquilou avec lui mais non, je reste écrasé en me disant que je peux rattraper celui de devant. J’ai conscience que ça cisaille pas mal, je suis aux arrières, attentif, mais pas avec le sentiment non plus d’être méga concentré et alerte pour ces conditions (après coup). Je suis à la lisière des arbres de la vire au milieu de la falaise, à la limite végétation/caillou, vers 1100m.

        Là c’est la cartouche.</div>
        Fermeture massive côté relief, la demi aile gauche plaquée dans le suspentage.</div>
        <div>Ça commence à tourner direct vers la falaise, je plie les jambes (peut être un chouilla tard ?) et commence à contrer à droite vers la vallée.
        <div>Stabilisation approximative mais j’ai l’impression que la demi aile droite ne vole pas vraiment, je sens mon épaule droite partir, j’ai la sensation qu’elle parachute/décroche.

        En tout cas je me dis que ça n’est pas viable, et là grosse erreur (classique), je me dis ah bah je vais essayer de décravater le noeud pap que j’ai à gauche. L’idée de tout planter pour décrocher et voir ensuite ce que ça dit me traverse l’esprit, mais je suis beaucoup trop près de la falaise pour le faire. Donc forcément je dois me pencher un peu ou moins contrer, bref ça repart en rotation à gauche direction falaise avant que je n’ai eu le temps de trouver ma suspente de stab dans tout le fatras qui est détendu.
        Je recommence donc à contrer à droite, et soit j’en mets trop et/ou je suis dans un cisaillement dégeu et il n’y a rien de vraiment volable ; ma demi aile droite finit de décrocher, et je me retrouve en rotation/parachutale/décro.

        Dur à dire précisément sans les images mais mon compère canard me confirmera qu’il trouve que ça tombe plus que ça ne tourne vraiment à ce moment là, et que ma plume droite semble effectivement flapper dans le mauvais sens
        Et là en tournant/reculant je vois arriver la falaise derrière moi et je réalise que je suis en dessous des arbres, donc ça va taper et il n’y aura rien pour m’arrêter, je lâche tout et j’arrache donc mon secours du pod en me disant que même si je glisse le long de la falaise, ça fera un truc de plus qui me ralentit et/ou pourra s’accrocher quelque part.

        A ce moment-là je tape fort la paroi, bien verticale à cet endroit, au niveau de mon 3/4 arrière gauche, et dès que je me remet du choc et m’apprête à lancer mon secours, je lève les yeux et réalise que ma voile est ouverte, direction vallée. Je repose mon secours sur mes genoux, reprend mes commandes, dis en radio au copain que ça va et que je vais poser.

        5 min plus tard je suis allongé dans l’herbe sur l’atterro à Meylan, en train de récupérer mes esprits.

        Chez moi j’inspecte les stabs et suspentes hautes : pas une trace de frottement, je suis convaincu que j’ai tapé en marche arrière et que l’aile n’a même pas frotté le caillou, une chance inouïe, si elle avait commencé à s’accrocher ça n’aurait pas été la même salade.

        Bilan :
        – Un gros hématome à la fesse gauche et au bras gauche, un trou dans le cocon. Ça ne fait vraiment pas cher comme ardoise.
        – Une belle frayeur pour moi et pour le copain qui m’a vu mourir, encore désolé pour lui.
        – Un sacré joker grillé, ça aurait pu très mal finir.

        Analyse des causes :

        Mental :
        – Fatigue : du retour de voyage, du vol de la veille, du covid de la semaine passée …
        – Pression à moi même : vouloir faire des h et du kil pour me remettre vite en sellette et être prêt pour les compet et cross à venir (= ne pas perdre plus de temps sur la saison)
        – Orgueil démesuré crétin : m’être mis en tête de rattraper le copain qui avait pris 10 min d’avance, sans peser suffisamment les risques. D’autant qu’il n’a pas le même niveau/mental/entraînement que moi. Et que je pouvais simplement rester voler un peu plus tranquillos avec mon autre acolyte.
        – Sur confiance : le Vercors est passé comme une lettre à la poste, c’était plutôt calme, et j’attaque la chartreuse en me disant que ça va être pareil.
        Avoir surtout oublié temporairement qu’on vole pour se faire plaisir, et pas pour cocher des cases.

        Technique :
        – Manque d’entraînement criant : comme expliqué, c’est la remise en sellette pour moi (à part les 5h de la veille). Donc réflexes moins affutés, mauvaises décisions, … en plein printemps.
        – Trop vite, trop près. Je ne suis JAMAIS passé au deuxième barreau à cet endroit là avant ce jour, je me l’étais toujours interdit. 300m au dessus du relief oui pourquoi pas, mais JAMAIS le long de la falaise ici quand c’est dégueu. Et pourtant là je l’ai fait sans y réfléchir.
        – J’ai environ 70h sous cette aile, c’est ma première C. Je la trouve plutôt gentille et safe, j’ai déjà tiré quelques asym avec pour voir mais jamais poulies collées. Je comptais le faire en SIV cette saison. C’est con, j’aurais dû le faire à l’automne dernier (comme j’avais prévu, mais conflit d’agenda donc j’ai annulé) et le souvenir de ce que ça faisait m’aurait sûrement passé l’envie d’être à fond au relief dans du turbulent.

        Conditions (même si elles n’y sont pas pour grand chose) :
        – La veille c’était ultra tranquille, tout le vol entre 2500 et 3500 dans des thermiques forts mais larges. Le matin du vol sur le Vercors ça n’était pas fumant mais plutôt peinard aussi, un petit coup de pied au cul au Moucherotte mais pas trop méchant et bien géré. Donc fausse impression de conditions coolos, et du coup d’être en (fausse) maîtrise.

        En arrivant à 1100m au st eyn, on est pile à la couche limite de l’inversion qui est en train de péter, c’est la cocotte minute et ça cisaille pas mal. D’autant que l’E est bien plus sensible que dans le Vercors, les copains confirmeront que le reste de la chartreuse était plutôt dégueu.

        Voilà voilà, je suis content d’être en un seul morceau et je me sens vraiment honteux et bête car je pars voler en sachant pertinemment que tous les voyants sont au orange et que je réunis toutes les conditions pour qu’un accident se produise.

        L’avantage c’est que j’ai le sentiment d’avoir parfaitement compris le pourquoi du comment, et suis conscient d’être totalement responsable de ce qui s’est passé, zéro excuses à chercher coté conditions ou matos pour moi, je l’ai cherché je l’ai trouvé.
        Fermer le long du st eyn à cette époque, ça n’est pas vraiment une surprise, et si j’avais été tranquille aux freins, ou à la limite un tout petit peu accéléré, je pense que je l’aurais rattrapée sans que ça parte en sucette. Mais pas à cette vitesse et aussi proche du caillou.

        J’en suis quitte pour un bon gros joker de grillé, et je continuerai ma saison tranquille, en étant plus lucide sur le tirage de bourre entre copains et mes objectifs perso.
        C’est cool, ça permet de progresser, ça fait des souvenirs forts et on fait des beaux trucs ensemble, mais il faut bien intégrer les biais que ça amène et rester conscient surtout quand les écarts de niveau/mental/entraînement se creusent.
        —–
        Voilà …
        Bons vols à tous, prudence !
        Arnaud

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